Ismaël est chorégraphe de Destins Croisés, compagnie montréalaise qu’il a fondée en 2003. Il a fait partie des créateurs de La question des fleurs, la dernière production de CAPAS, et c'est tout naturellement que Lydie et Mickaël ont pensé à lui pour Minuit quelque part. La Résistance lui a confié le tableau « Je revis à minuit », une section festive tout à fait en phase avec ses élans créateurs. Après avoir exploré les célébrations nocturnes dans le Sacre de Lila - œuvre chorégraphique de l'année CALQ 2023 -, il plonge dans ce nouveau projet avec l’intention de contaminer par la joie du mouvement.
En quoi Minuit quelque part se distingue-t-il des autres spectacles sur lesquels tu as travaillé?
Ismaël : Déjà, au niveau de la durée, 10 minutes c’est un défi en soi. Je me sens vraiment privilégié de travailler avec ces interprètes-là, ce sont des interprètes de très haut niveau, avec beaucoup de bagage. Ça va vite, c’est le fun.
Le projet se distingue aussi parce que la musique est faite avant. C’est stimulant de changer un peu ses processus créatifs. Dans Minuit, on part de quelqu’un qui a déjà composé, et ça m’a permis de m'aligner corporellement en lien avec la musique, de trouver ma stratégie par rapport à ma vision chorégraphique et physique.
Comment fonctionnes-tu généralement sur le plan de la musique ?
Ismaël : Au départ, je travaille souvent dans le silence et avec la respiration de l’effort, qui est une musicalité en soi. J’ai une approche très personnelle de la musique et quand j'en écoute, je ne cherche pas comment je vais coller du mouvement dessus, mais comment elle est une dramaturgie en soi. Dans mon tableau de Minuit, pour moi la musique est un interprète sur scène. Sur la scène, je n’ai pas 10 interprètes, mais 11. La musique va venir soutenir les danseurs, qui doivent se positionner par rapport à ça.
Quand j’ai créé pour Minuit, j’ai mis la musique d’Alex McMahon de côté et j’ai travaillé avec d’autres musiques beaucoup plus intenses, qui sont devenues des leitmotivs pour les danseurs. Je leur ai dit d'imprégner ça dans leur corps pour qu’ensuite, avec la musique d’Alex, ils soient dans l’autre musique dans leur corps. Ça vient créer une complémentarité et une dramaturgie. Pour ce tableau, il faut qu’il y ait une physicalité puissante. Avec ou sans musique, elle est là, la musicalité.
Peux-tu nous en dire plus sur le tableau qui t’a été confié ?
Ismaël : Le titre est « je revis à minuit », mais pour moi c'est plus « nous revivons à minuit », parce que c’est vraiment une dynamique de groupe qu'il y a là-dedans. C'est dans la lignée de l’aspect festif de la nuit : je suis très familier avec ça, par rapport à ma dernière création et à mes origines marocaines de la danse rituelle. J’avais envie de continuer dans cette notion de rituel festif. Pour moi, le fil conducteur dans le tableau c’est la générosité de partager du rythme ensemble, d’être dans une énergie qui est contagieuse et continue. On va dans l’instinctif des danseurs. C’est une boucle de mouvement qui prend de l’accumulation et ça bâtit une dramaturgie. Dans le tableau, les interprètes sont dans un partage, dans une folie de vouloir bouffer l’espace. Ils ne sortent jamais, ils sont interreliés et interdépendants, et ils bouffent la vie ensemble pendant 10 minutes.
Si on parle de ton travail en général, dirais-tu qu’il y a un fil conducteur entre tes créations ?
Ismaël : Dans mon cursus, je sens que j’ai un besoin de rupture entre ce que j’ai fait avant et où je veux aller. Le Sacre de Lila est un point de bascule pour moi, dans le sens où avant, j’étais dans l’état de corps, la kinesthésie, la résistance, l'ondulation, quelque chose de plus linéaire, et j’ai l’impression que maintenant je vais plus dans le rythme. Ça me rapproche encore plus de la danse populaire, cette communauté du rythme. En ce moment, j’ai envie de contaminer par la joie du mouvement. S’il y a un fil conducteur entre mes pièces, ce serait l’authenticité sur scène que j’ai besoin de bâtir avec les interprètes. Quand on sent qu’il y a un tout dans une communauté sur scène, c’est l'addition des individualités qui fait ce tout. Il faut que l'interprète nous parle. Les individualités, ce sont mes matériaux pour peindre. Le fil conducteur entre mes pièces, c’est l’humain, au fond.
Peux-tu nous partager certaines expériences qui ont eu un impact sur ton travail artistique ?
Ismaël : Quand j’ai commencé à danser, j’étais autodidacte (par défaut, ayant choisi les danses de rue). Une rencontre importante a été celle de Xavier Lot. C’est le premier chorégraphe contemporain avec lequel j’ai travaillé. À 15 ans, je dansais n’importe où, n’importe quand, et la Scène nationale de Vandoeuvre (Nancy, France) est littéralement venue me chercher dans la rue. On m’a mis en contact avec Xavier Lot et lui m’a mis dans un cadre scénique. À ce moment, j’ai réalisé que non seulement j’avais la liberté de m’exprimer à travers mon art, mais que des gens étaient intéressés à venir voir et écouter ce que j’avais à dire, dans cette boîte noire qu’est une salle de spectacle. Ça a été le déclencheur pour moi. Un an plus tard, je montais ma compagnie. C’est fou! Grâce à l’ouverture d’une institution, je suis devenu chorégraphe.
Est-ce la danse qui t’a mené au Québec ?
Ismaël : À l'âge de 17 ans, j'ai débarqué au Québec. Mon voyage n'était pas motivé par la danse, mais par la découverte de ce territoire et de ses habitants. Je ressentais qu'il y avait une sorte de "terre vierge" à explorer, un potentiel inexploré pour amener les danses urbaines vers une nouvelle perspective. C'était fascinant de partir de zéro, là où la danse de rue de création, avec une approche chorégraphique contemporaine, restait largement méconnue. J'avais le sentiment que le Québec était ouvert à cette découverte.
Qu’est-ce que “minuit” évoque pour toi ?
Ismaël : J’aime la nuit, lorsque tout le monde dort et que moi, je me sens vivant. Je me dédie le temps pour créer, pour avancer, pour penser dans le silence des autres et dans mon propre bruit à moi. Minuit, c’est un moment de privilège.
Autre chose que tu aimerais dire à propos de Minuit quelque part ?
Ismaël : Je suis content que Mika et Lydie m'aient invité dans ce projet-là : c'est une opportunité pour continuer à m’amuser et rencontrer des artistes. Et je suis heureux de partager un petit bout de spectacle avec d’autres chorégraphes que j’admire.
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Destins Croisés sur la route
Le sacre de Lila, spectacle réunissant danseurs québécois et marocains en hommage aux racines d’Ismaël Mouaraki, est présenté cette semaine à Parcours Danse, puis en tournée québécoise dès janvier. Visiter le calendrier des représentations
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